Il est certain qu’à vouloir catégoriser les médias, à proposer des lois d’influence médiatique, ou à rêver à leurs développements futurs, je rôde sans cesse autour de leur définition sans précisément la nommer. Peut-être sera-t-il finalement utile de suivre les dernières discussions et de proposer une définition des médias, même trop rapidement tracée?
Faute de temps pour décrire le bataillon hétéroclite des théories médiatiques existantes, je me concentrerai sur trois sujets: les exigences d’une définition, la proposition de définition elle-même, et quelques applications immédiates, dont l’articulation des trois grandes catégories de médias issues du précédent billet.
Pour être utile, une définition des médias doit éviter deux tentations opposées: d’une part la tentation d’un matérialisme restrictif, qui confond le média et la technique sur laquelle il s’appuie, ne voyant par exemple dans un livre que la technologie permettant de l’imprimer, et d’autre part la tentation d’une généralisation illimitée, ou tout devient média, car tout au fond médiatise un échange, une action ou une idée. On peut certes croire que « le média c’est le message », mais cela ne permet pas véritablement d’en isoler la nature.
Pour être pertinente, une définition des médias doit embrasser à la fois les faits proprement technologiques et les pratiques sociales. Elle doit s’adapter indifféremment aux formes de médias les plus anciennes et aux développements contemporains: le forum romain, la télévision, les moines copistes, les traditions orales, l’internet… etc.
Voici donc un premier essai de définition: est média tout assemblage de règles techniques et sociales qui assure l’existence d’une discussion.
Si l’on suit cette idée, une institution (une organisation) est toujours en soi un média, car elle établit les règles d’échange d’informations, les droits réciproques des interlocuteurs,… etc. Par exemple, un syndicat est par excellence un média : c’est une organisation qui assure la remontée des revendications, leur synthèse, la diffusion des mots d’ordres et des positions.
Corolaire immédiat, rien n’empêche un média de s’appuyer sur d’autres médias. Comme tout système de règles, les médias se superposent et s’entrecroisent sans nécessairement se substituer. Ainsi un syndicat utilisera la poste, le téléphone ou l’internet, s’appuie sur d’autres organisations pour diffuser ses messages et ses revendications.
La division de l’histoire médiatique en trois ages découle directement de cette définition. Pour voir apparaitre les trois âges et les trois catégories de médias qui leur correspondent, il suffit de les classer selon leur finalité.
Le premier âge est celui où les médias sont essentiellement des organisations. La parole et le message se diffusent au sein du groupe, au sein de l’église, au sein du théâtre. La fonction médiatique n’est pas la raison d’être de ces groupes, elle n’est qu’une conséquence de leur fonctionnement. Le premier âge médiatique est donc celui où la discussion est soumise à l’objectif de l’organisation qui l’abrite.
Le deuxième âge est celui où les médias se libèrent des objectifs de ceux qui leur ont donné naissance. Alors que les moines copistes existaient d’abord comme ordre monastique, la finalité première des imprimeurs a toujours été… d’imprimer.
Au fil du deuxième age, les médias se libèrent donc des éléments extérieurs à la discussion, mais ils restent soumis à de petites communautés de producteurs (littérateurs, journalistes, professionnels divers,…) qu’ils maintiennent et qui les maintiennent. Cette division entre producteurs et récepteurs hiérarchise profondément la discussion.
Le troisième âge médiatique -le notre- est celui où les médias se libèrent finalement de la division entre ceux qui produisent le message et ceux qui le reçoivent. La discussion n’y est plus limitée que par elle-même, par les règles qu’elle se donne et par les messages qu’elle construit. Elle se libère ainsi de la hiérarchie des producteurs, des distributeurs et des lecteurs.
Le Web participatif, les réseaux sociaux, les développement Open Source ne sont que les premiers indices d’un mouvement bien plus large: nous rentrons dans l’âge médiatique de la démocratisation.