Collisions médiatiques: la grande réforme et le départ de la reine

19 octobre 2007

Avez-vous ressenti comme moi l’étrangeté de notre actualité politique? L’improbable collision de deux mondes que rien ne paraissait devoir rassembler? D’un coté le rituel des « grandes réformes », de son cortège d’annonces gouvernementales, d’éditoriaux pondérés, de grèves, de grands défilés, de syndicalistes et de ministres enflammés. De l’autre, la chronique monarchique de la famille présidentielle, des états d’âme de la reine, des gènes discrète de l’entourage, du silence du prince, des grands et des petits secrets. 

Je crois que ce sentiment d’étrangeté provient d’une transformation profonde: la re-légitimation d’un très ancien canal médiatique. Les médias familiaux, ceux des potins et des cancans étaient encore, il y a quelques années, les succédanés honteux des almanachs monarchistes. Leur actualité -les familles et les lignées, les amours et les plaisirs, le vrai mondain et le faux intime- leur actualité donc était unanimement disqualifiée. Non que l’on ne s’y intéressât pas, mais l’on considérait cet intérêt même comme anecdotique ou privé. Il était de l’avis commun que cette actualité ne méritait pas d’être « politique », c’est-à-dire qu’au sein de la république, elle ne pouvait être considérée comme « affaire de la cité ». Dévalorisée, cette actualité a longtemps fait fuir les professionnels de la politique, peu soucieux de lier trop ouvertement leur image à ces remugles d’ancien régime. 

Insensiblement, insidieusement, comme un vieux courtisan retrouve la faveur d’un maître revenu de tout, le canal « monarchique » a retrouvé sa légitimité. Contents de trouver de nouvelles scènes et de nouveaux spectateurs, les politiques ont systématiquement investi cette scène.

Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal en furent les promoteurs emblématiques. Le premier considère naturellement ses « people » comme des agents politiques: il les recrute et les utilise comme n’importe quel baron de l’UMP, n’établissant pas de démarcation entre les uns et les autres, les substituant au besoin: ministres, conseillers, amis, présidents de commission… A défaut d’être plus efficace, le lien entre les médias monarchiques et Ségolène Royal à longtemps été plus exclusif. Sa figure est née, s’est développée, a remporté ses victoire à partir de questions personnelles, intimes, de questions qu’eux seuls savent traiter. Son succès lors de la primaire peut se comprendre comme la revanche de ces médias monarchiques sur les médias classiquement « politiques » et « républicains », soutiens de ses adversaires éternellement « gris » et « ennuyeux ». Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy semblent s’être enfin rejoints: quelle formidable symétrie que celle du duo d’aujourd’hui « grève des cheminots / départ de Cécilia » et de son précurseur de juin: « résultat des législatives / séparation de Ségolène »! 

La collision entre la grève des cheminots et le départ de la reine provient de la fusion annoncée de deux univers médiatiques. Nous avions l’habitude de superpositions de nouvelles, mais dans chaque domaine, la hiérarchie ou la distinction des informations semblaient clairement assurées. Nous voyons aujourd’hui l’union difficile et tourmentée de deux histoires, de deux légitimités, de deux groupes humains -Epiphénomène: comment ne pas sourire à la fusion des services « people » et « politique » des rédactions des télévisions, des radios, peut-être des journaux…-  Nous voyons l’alliance chaque jour renforcée entre les médias familiaux et monarchistes et les médias « classiquement politiques », c’est-à-dire porteur de la vision républicaine de la politique. 

Ne nous y trompons pas, les médias « classiquement politique » sont les derniers à souhaiter une évolution qui sous les dehors rassurants du commérage et du second degré, met profondément en cause les règles du débat démocratique. Ils y perdent leur prestige, leur pouvoir, plus peut-être, leur raison d’être. Ils écriront donc beaucoup contre la confusion des genres, tenteront de digérer l’affront, feront semblant de l’oublier.

Il est peu vraisemblable que cela suffise à endiguer le mouvement. Le poids toujours croissant des actionnaires des groupes médiatiques, la poussée continue des idées libérales, le critère toujours plus légitime de rentabilité, toutes ces forces débordent largement les maigres troupes des « véritables » journalistes politiques.  

Notre étrange collision médiatique marque ainsi l’affaiblissement du débat démocratique, et à travers lui de la démocratie elle-même. Rouages essentiels de cette évolution, les médias traditionnels sont impuissants à l’enrayer. Il appartient aux nouveaux médias de reprendre, d’élargir et d’approfondir le débat. C’est à dire non seulement de le maintenir mais aussi de le régénérer.

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